La forte épargne des Français se dirige vers les livrets

Suivant la tendance européenne, les ménages français maintiennent un taux d'épargne élevé, à 18,3 % du revenu disponible brut au premier trimestre 2023, en raison de la crainte de l'inflation et du désir de préserver leur patrimoine. Cependant, la tendance récente montre que les comptes courants, où l'épargne était stockée, ont diminué de 23 milliards d'euros au premier semestre 2023 : l’épargne se dirige maintenant vers des produits plus rémunérés comme les livrets.

13 nov. 2023

Avec la pandémie de Covid-19, les ménages dans la zone euro et aux États-Unis ont accumulé un stock d’épargne important.

Pour un départ classique

Dans la zone euro, entre le premier trimestre 2020 et le quatrième trimestre 2022, l’épargne excédentaire a été investie en actifs non financiers, tels que l’immobilier résidentiel, et en actifs financiers relativement illiquides, tels que des actions et des obligations ; elle a également été utilisée pour rembourser des prêts. Ces formes d’épargne excédentaire cumulée ont augmenté régulièrement pour atteindre 10,8 % du revenu disponible tendanciel au quatrième trimestre 2022. En revanche, l’épargne excédentaire cumulée sous forme d’actifs financiers plus liquides, tels que le numéraire et les dépôts, a atteint un pic à 3,7 % du revenu disponible tendanciel au premier trimestre 2021, puis a fortement diminué pour s’établir à 0,6 % au quatrième trimestre 2022. Aux États-Unis, la composition de l’épargne excédentaire cumulée à fin 2022 a été très différente. Les actifs financiers liquides représentaient 18,5 % du revenu disponible tendanciel, tandis que les actifs illiquides étaient inférieurs de 10,6 % à leur tendance pré-pandémique, reflétant également une accumulation importante de nouveaux prêts.

En France, la tendance des ménages à laisser leur épargne sur leur compte courant s’inverse.

Depuis trois ans, le taux d’épargne des ménages se maintient à un niveau élevé. Il était, au premier trimestre 2023, de 18,3 % du revenu disponible brut, soit trois points au-dessus de son niveau d’avant la crise sanitaire. Les Français préfèrent diminuer leurs dépenses de consommation plutôt que toucher à l’épargne accumulée durant la pandémie de Covid-19. Ce comportement est attendu : en période d’inflation, les ménages renforcent leur épargne de précaution par crainte des augmentations à venir. Il y a aussi un effet d’encaisse. Ils veulent maintenir constante la valeur de leur patrimoine. Les ménages sont conscients que l’inflation érode la valeur de leur patrimoine, mais cela ne les empêche pas d’épargner. Ces dernières années, les ménages avaient pris l’habitude de laisser cette épargne sur leur compte courant : le montant de l’agent « non placé » sur ces derniers avait été multiplié presque par trois entre début 2009 et mi-2022 (544 milliards d’euros fin juillet 2022). Depuis le dernier trimestre 2022, la tendance s’inverse : les comptes courants « ont fondu de 23 milliards d’euros au premier semestre 2023, pour atteindre 503 milliards fin juin pour les ménages résidents », note Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, sans pour autant que la consommation augmente (taux d’épargne à 18,1 % au premier trimestre 2023).

L’épargne se dirige vers des produits plus rémunérateurs, avec une préférence pour la sécurité.

Depuis le début de l’année 2023, les Français ont continué à restreindre leurs dépenses de consommation et à réorienter les liquidités présentes sur leurs comptes courants vers des produits d’épargne. Le comportement des ménages français tranche avec celui des Américains, dont la consommation repart à la hausse. La faible confiance des ménages dans l’évolution de la situation économique du pays explique certainement la primauté donnée à l’épargne de précaution. Un phénomène d’encaisse réelle peut également jouer, les ménages voulant maintenir constant le pouvoir d’achat de leur épargne. Les ménages ont d’abord placé leur épargne vers des produits sûrs plus rémunérateurs, comme le Livret A ou le Livret de développement durable et solidaire (LDDS), dont le taux a été relevé à 3 % entre février 2022 et février 2023, ou encore comme le Livret d’épargne populaire (LEP), accessible sous condition de revenus et dont le taux est passé sur la même période de 1 % à 6,1 %. Les flux nets enregistrés pour les ménages au premier semestre vers ces trois livrets réglementés, non fiscalisés, s’élèvent à près de 47 milliards d’euros, contre moins de 16 milliards les six premiers mois de 2022. Avec les livrets fiscalisés, les PEL et les fonds en euros, les comptes courants sont les perdants de la résurgence de l’inflation et la fin de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne dans le domaine de l’épargne.

Gel du taux du livret A et collecte dynamique d’autres produits d’épargne

Le 13 juillet dernier, le Gouvernement a décidé de maintenir le taux du Livret A à 3 % pendant 18 mois, anticipant une baisse de l'inflation et afin d’encourager la consommation. Maintenir le taux à 3 % est considéré comme compétitif à mesure que l'inflation diminue. De plus, dans un contexte de remontée des taux d’emprunt, le Gouvernement souhaite éviter de pénaliser les bénéficiaires des ressources de l’épargne réglementée, en particulier les bailleurs sociaux, et de créer des coûts supplémentaires pour les banques et la Caisse des dépôts et consignations, qui centralise jusqu’à 60 % des ressources collectées. La non-application de la formule de calcul du taux est également liée à la hiérarchie des taux, évitant ainsi que le Livret A devienne excessivement rémunéré par rapport à d'autres produits d'épargne. Il s'agit du deuxième gel du taux depuis 2017, avec la promesse que le taux restera inchangé jusqu'en 2025, même si l'inflation atteint la cible de 2 %. Cela peut expliquer en partie la poursuite d’une collecte dynamique d’autres produits d’épargne. Ainsi, depuis le début de l’année, les cotisations en assurance-vie affichent une hausse de +4,7 milliards d’euros, soit +5 % par rapport à la même période de 2022, pour atteindre 102,4 milliards d’euros, franchissant ainsi pour la première fois le seuil symbolique des 100 milliards d’euros de cotisations sur 8 mois. La collecte nette en assurance-vie s’établit à +1,7 milliard d’euros sur les 8 premiers mois de l’année 2023. L’encours total est de 1 907 milliards d’euros à fin août, en hausse de +4,2 % sur un an, soit +77 milliards d’euros. Il en va de même, à plus petite échelle, pour le Plan d’Épargne Retraite (PER) : en août 2023, les cotisations sur un PER assurantiel s’élèvent à 682 millions d’euros, soit une hausse de +27 % par rapport à août 2022, pour 46 100 nouveaux assurés (+38 %). Dans le même temps, 8 200 assurés ont transféré 310 millions d’euros d’anciens contrats d’assurance retraite vers un PER. Depuis le début de l’année 2023, les cotisations versées s’élèvent à 5,4 milliards d’euros pour 545 700 nouveaux assurés, en hausse de +23 % et +19 % respectivement par rapport à la même période de 2022. Sur les huit premiers mois de l’année, la collecte nette des PER s’établit à +3,8 milliards d’euros.